Qualification et évaluation de l’utilité sociale de la sociophotographie

L’approche sociophotographique fait l’objet d’un travail de recherche scientifique.

Les membres de l’association Corps à cœur ont pris l’initiative de mettre en place une démarche de qualification et d’évaluation de l’utilité sociale de la sociophotographie et de l’association en s’appuyant sur le travail du Groupe de Recherche-action sur l’Evaluation de l’Utilité Sociale.

Dans le cadre de ce travail, nous cherchons ce qui est signifiant pour les bénéficiaires de l’accompagnement sociophotographique et pour les membres de Corps à Cœur. Pour ce faire, un comité scientifique a été constitué de personnes membres de l’association et, afin de tendre vers plus d’objectivité et d’enrichir les résultats, de personnes non membres.

La sociophotographie, un processus d’émancipation

Quelles sont les significations attribuées à l’expérience sociophotographique par les bénéficiaires? Voici quelques éléments déjà identifiés.

L’annonce d’un diagnostic, tel que celui d’un cancer, est un premier moment clé dans l’histoire de la maladie. C’est un choc d’une violence extrême qui altère le rapport à soi, aux autres, au temps. Il y a un avant et un après qui propulse les personnes interviewées dans un processus de quête de sens. Les témoignages de l’expérience sociophotographique paraissent particulièrement intéressants pour identifier les processus transactionnels et l’enclenchement d’un processus de guérison.

Agir sur le plan intrapersonnel

Sur le plan de la transaction biographique où chacun·e négocie avec lui·elle-même son récit de vie (Rémy, 1996/2020), la personne est confrontée à soi dans l’épreuve de sa maladie. La sociophotographe est identifiée comme une personne-clé parmi les différentes personnes significatives telles que les infirmières, les médecins ou encore les psychologues. Elle confronte ces femmes atteintes d’un cancer du sein à leur corps mutilé et à leur personne vulnérabilisée par l’épreuve de la maladie. Elle leur permet non seulement de se reconnecter à leur corps, mais aussi à leurs émotions, essentielles dans leur reconstruction. Ce n’est pas seulement la photo qui suscite un «déclic», mais l’accompagnement qui va avec. Alors qu’elles sont habitées par un sentiment d’extranéité, c’est-à-dire une impression d’appartenir et de ne pas appartenir (Gardou, 2018), l’expérience sociophotographique semble favoriser un réalignement et un réajustement de leur intérieur avec leur extérieur. La photo se révèle alors être un instrument (Rabardel, 1995) de transaction sociale entre soi et soi.

Agir sur le plan interpersonnel et sociétal

L’expérience sociophotographique agit également sur le plan relationnel. Les photos, progressivement révélées à l’entourage, deviennent des tiers médiateurs suscitant un dialogue. La quête de sens qui anime les personnes interviewées ne s’opère pas seulement entre soi et soi (en intériorité) mais aussi entre soi et son environnement proche (famille, amis…) et encore, entre soi et la société. 

Dans leur récit, les personnes interviewées partagent, par exemple, la difficulté d’être une personne perçue comme guérie par l’entourage et la société. Le processus de guérison ne semble pas abouti sur le versant « interne ». Ce décalage entre « extériorité » et « intériorité » implique un long travail sur soi en étant confronté au regard normatif qui signifie la personne en bonne santé.
C’est alors que l’utilité et la plus-value de la sociophotographie sont clairement identifiées. Elles permettent non seulement de se reconnecter à soi, mais de transformer la guérison en un processus d’émancipation. L’enjeu est de se définir non plus en tant que malade, mais en tant que citoyen·ne.

La quête de sens qui anime les personnes bouleversées par la maladie répond foncièrement à un besoin d’exister. Ces personnes, souvent des femmes, atteintes dans leur santé sont touchées non seulement dans leur intégrité physique, mais aussi dans leur identité en tant que personne, en tant que femme.

Favoriser le pouvoir d’agir

Prendre en compte la singularité de la personne comme le fait la sociophotographie, c’est inscrire l’accompagnement dans un processus qui permet à la personne de développer ses capacités et son pouvoir d’agir dans son histoire de maladie. Elle permet d’exister, en premier lieu, parce qu’elle enjoint les personnes de valoriser leurs ressources, leurs capacités d’intensité et d’expression variables, leurs compétences enfouies et leur créativité.
En deuxième lieu, elle leur permet d’exister parce qu’elle reconnaît leurs désirs et leurs émotions (Gardou, 2018). Les expressions émises sont prises en compte autant que possible. En troisième lieu, elle laisse «le temps au temps». Ce qui autorise à progressivement s’inscrire dans une démarche de développement du pouvoir d’agir. Il y a référence au processus comme au résultat qu’il produit (Morin et al., 2019). Plutôt que de la subir, les bénéficiaires deviennent de plus en plus autrices et actrices de leur destinée.
L’expérience sociophotographique contribue donc au développement du pouvoir d’agir des personnes et permet d’inscrire la maladie dans une histoire de vie… une singularité au-delà de la subjectivité !

Quelques références bibliographiques
  • Gardou, C. (2018). La société inclusive, parlons-en : Il n’y a pas de vie minuscule. Érès. https://doi.org/10.3917/eres.gardo.2012.01
  • Morin, É., Therriault, G., & Bader, B. (2019). Le développement du pouvoir agir, l’agentivité et le sentiment d’efficacité personnelle des jeunes face aux problématiques sociales et environnementales : apports conceptuels pour un agir. Éducation et socialisation, 51. https://doi.org/10.4000/edso.5821 ;
  • Rabardel, P. (1995). Qu’est-ce qu’un instrument ? Appropriation, conceptualisation, mises en situation. Les dossiers de l’ingénierie éducative, 19, 61-65.
  • Rémy, J. (1996/2020). La transaction, une méthode d’analyse: contribution à l’émergence d’un nouveau paradigme. Dans J. Rémy, La transaction sociale (pp. 141-173). Toulouse: Érès.

Démarche méthodologique

Pour établir une documentation scientifique autour de la démarche sociophotographique, nous avons élaboré un protocole basé sur la littérature en sciences de l’éducation.

Une première analyse « verticale »

Nous effectuons tout d’abord des entretiens semi-directifs de bénéficiaires volontaires ayant été accompagné.e.s. Les enregistrements sont transcrits et anonymisés. Nous procédons alors à une analyse verticale (Gaudet & Robert, 2018). Pour ce faire, nous élaborons une condensation sémantique en effectuant un examen phénoménologique des données. Autrement dit, à la lecture des transcriptions, nous résumons le contenu en restant au plus près des propos tenus. Il n’est, dès lors, plus question de s’intéresser à ce que disent les interviewés, mais à ce que l’on peut dire sur ce qu’ils disent (Paillé, 2017). Cette première catégorisation est envisagée comme un essai de sens (Paillé, 2017).

Une analyse « horizontale »

Après cette analyse verticale, nous procédons à une analyse horizontale. L’objectif est de générer une interprétation itérative de l’ensemble du matériel afin de développer une compréhension complexe et nuancée du phénomène étudié (Gaudet & Robert, 2018). Nous croisons entre elles des variations (ruptures) et des régularités (relations) des analyses verticales. Des phénomènes traversant les données sont ainsi identifiés.

Finalement, c’est en cherchant à articuler le tout que nous basculons dans l’analyse théorisante. Nous passons progressivement du mode empirique au mode conceptuel laissant émerger des propositions théoriques. Autrement dit, plus qu’une simple dénomination de phénomènes, nous produisons une théorisation (Paillé, 2019), nous dégageons du sens, mettons en lumière la compréhension d’un phénomène (Paillé, 1994).

Quelques références bibliographiques
  • Olivier De Sardan, J.-P. (1995). La politique du terrain Sur la production des données en anthropologie. Enquête, 1-30. https://doi.org/10.4000/enquete.263
  • Gaudet, S., & Robert, D. (2018). L’aventure de la recherche qualitative : Du questionnement à la rédaction scientifique. Les Presses de l’Université d’Ottawa.
  • Paillé, P. (1994). L’analyse par théorisation ancrée. Cahiers de recherche sociologique, 23, 147-181. https://doi.org/10.7202/1002253ar
    Paillé, P. (2017). Chapitre 3. L’analyse par théorisation ancrée. Dans M. Santiago Delefosse & M. del Rio Carral (Éds.), Les méthodes qualitatives en psychologie et sciences humaines de la santé (p. 61-83). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.santi.2017.01.0061
  • Paillé, P. (2019). Analyse par théorisation ancrée. Dans C. Delory-Momberger (Éd.), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique (p. 192-193). Érès. https://doi.org/10.3917/eres.delor.2019.01.0192

Comité scientifique

Sarah Blanc

Sarah est infirmière en oncologie pédiatrique au Chuv de Lausanne, elle est en possession d’un CAS de recherche clinique (Unisanté de Lausanne). Elle a également donnée des cours à l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source.

Amandine Gouttefarde

Amandine est enseignante spécialisée dans un établissement primaire et secondaire du canton de Vaud (Suisse). Membre du laboratoire LIFE de l’Université de Genève, elle est également en possession d’un doctorat en sciences de l’éducation (Université de Genève) et s’intéresse aux normes professionnelles, à la collaboration entre personnels de l’enseignement ordinaire et spécialisé ainsi qu’à la sociocialisation professionnelle des enseignants dans une comparaison franco-suisse.

Profil sur le site de l’Université de Genève

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Sabine Schär

Sabine est maître d’enseignement à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). Infirmière de formation, elle est également en possession d’un doctorat en sciences de l’éducation (Université de Genève). Elle s’intéresse aux questions liées à l’apprentissage expérientiel, à l’interaction et aux savoirs mobilisés entre personne soignée et personne soignante et, d’une manière plus générale, à l’épistémologie dans le domaine de la santé.

Profil sur le site de la HES-SO

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